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Toussaint 2016 – Homélie

mercredi 2 novembre 2016Expression de l'évêque

Quand nous entendons proclamer l’évangile des Béatitudes, si souvent entendu, peut-être sommes-nous blasés et nous attendons patiemment la fin de l’énumération des attitudes énoncées par Jésus comme autant de voies vers le bonheur. Comment redécouvrir à neuf l’appel au bonheur que Jésus nous adresse à-travers des attitudes et des comportements qui, si nous sommes honnêtes, apparaissent davantage comme des contraintes et des fardeaux, que comme des bénédictions et des chemins vers le bonheur.

Nous entendons Jésus proclamer heureux et bénis ceux et celles qui vivent les exigences fondamentales de l’Évangile et qui en supportent les conséquences parfois difficiles. Pour beaucoup d’entre nous, les exigences évangéliques semblent parfois lourdes à assumer. Pourquoi une telle impression ? N’est-ce pas parce que l’appel au bonheur que Jésus nous adresse va à contre-courant de ce que nous pensons spontanément. Nous sommes habités par une conception mondaine du bonheur : l’idée qu’il serait absence de contraintes, satisfaction de nos désirs, absence de souffrance et préservation de l’adversité.  Supporter les tensions, les conflits, en sortir par la réconciliation, être miséricordieux à l’égard de ceux qui nous sont hostiles, essuyer les ricanements et les insultes pour notre fidélité à l’Évangile, tout cela nous semble si contraire à notre aspiration au bonheur.

Ces derniers jours, une enquête d’opinion réalisée par un Institut français a fait l’objet d’un ouvrage intitulé « Le PIB du bonheur ». Le journal La Croix s’en est fait l’écho. Cette enquête révèle que près de 75% des français attendent un discours politique sur le bonheur, renvoyant ainsi les responsables politiques à l’exigence de gouverner en assurant les conditions du bonheur dans une société qui charrie quantité d’alluvions de frustrations, d’angoisse, d’insécurité et de désespoir. Je me disais en prenant connaissance du détail des réponses, que, décidément, nous n’avons pas intégré la Charte du bonheur que Jésus offre à l’humanité depuis plus de 2000 ans ! Le Royaume qu’il annonce de la part de Dieu, son Père, réclame de la part des hommes et des femmes qui veulent y entrer, des attitudes précises qui retentissent comme une promesse de bonheur et de bénédiction. Et si les Béatitudes apparaissent si difficiles à accepter et à adopter comme style de vie, n’est-ce pas parce que notre foi au Christ est devenue par trop mondaine ?

Que vaut la capacité de s’émouvoir et de pleurer dans une société d’indifférence largement répandue ? Une société où la vue des réfugiés dont le regard et le visage livrent toute la détresse d’une humanité malmenée par la violence et la misère, ne suscitent chez certains que des discours de rejet brutal, qui se vident de tout sens de la dignité humaine ?

Que vaut la pauvreté du cœur dans une société de l’autoréalisation de soi par une affirmation d’autonomie et de puissance, déconnectée du rapport vital aux autres ? 

Que vaut la douceur dans une société de concurrence et de compétition où la culture de l’affrontement semble prendre le pas sur celle du dialogue, comme l’épiscopat vient de le rappeler dans le petit opuscule sur « refonder le politique » (page 24) ?

Que vaut la capacité de s’émouvoir et de pleurer dans une société d’indifférence largement répandue ? Une société où la vue des réfugiés dont le regard et le visage livrent toute la détresse d’une humanité malmenée par la violence et la misère, ne suscitent chez certains que des discours de rejet brutal, qui se vident de tout sens de la dignité humaine ? Le premier réflexe devant l’étranger, c’est l’inquiétude et la peur. C’est instinctif. Les situations sont complexes et les solutions peu évidentes. Pourtant, beaucoup dépassent le stade de la peur pour naître, à-travers l’engagement dans diverses associations caritatives, à l’accueil et à la solidarité avec ces frères et sœurs qui mendient chez nous un peu de chaleur humaine, de dignité et de solidarité.

Que valent la faim et la soif de la justice dans une société où tant de personnes s’enfoncent toujours davantage dans la précarité et la pauvreté ?

Que vaut la Miséricorde dans une société clivée où, bien souvent, on ne se supporte plus entre groupes humains différents, où des personnes et des familles sont rejetées et sacrifiées sur l’autel des intérêts particuliers, des avantages acquis et de la compétitivité ?

Que vaut le souci de se garder un cœur pur dans une société fortement érotisée et qui marchande le corps humain pour des plaisirs malsains ?

Est-il fou d’œuvrer pour la paix alors que notre monde est livré, selon l’expression du pape François, à une « 3ème guerre mondiale par morceaux » ?

Oui, comment croire au bonheur que le Christ nous offre dans ses Béatitudes ? On comprend bien pourquoi nos contemporains aspirent à une politique du bonheur à leur mesure. Une politique qui se limiterait davantage à gérer les intérêts particuliers, à protéger les seuls droits individuels, qu’à initier des projets qui mettent en œuvre le bien commun pour tous.

Le bonheur que Jésus offre à l’humanité passe par la conversion du cœur des hommes et des femmes qui font société ensemble. Aucun parti politique, aucun programme ne peut établir le bonheur sans la conversion du cœur de chacun.

Le bonheur que Jésus propose aujourd’hui encore, ne se vend ni ne s’achète. Il n’est pas l’œuvre d’un leader ou d’un chef qui démobilise ses concitoyens, les plongeant dans une passivité extrême. Le bonheur que Jésus offre à l’humanité passe par la conversion du cœur des hommes et des femmes qui font société ensemble. Aucun parti politique, aucun programme ne peut établir le bonheur sans la conversion du cœur de chacun.

Le bonheur que Jésus nous offre dans les Béatitudes ne peut être l’œuvre de stratèges, mais de saints ! La sainteté de Dieu est mystérieusement inscrite en nous, depuis notre baptême. Nous sommes enfants de Dieu, dit saint Jean, mais ce que nous serons n’apparaît pas encore pleinement (1 Jean 3, 1). La sainteté divine inscrite en nous, se dévoile quand nous choisissons de vivre les Béatitudes. La sainteté n’est pas un état, mais un chemin de confiance et d’amour. Nous sommes tous saints, dans un peuple de saints, immergé dans une histoire de péché et de grâce, de violence et de réconciliation.  Fêter la Toussaint, ce n’est pas simplement célébrer les « prix Nobel » de la sainteté, mais c’est reprendre conscience de notre vocation liée à notre baptême. Nous progressons dans la sainteté quand nous prenons en charge le bonheur des autres, de tous les autres qui nous entourent, dans l’esprit des Béatitudes. Alors, chacune de nos vies peut devenir un reflet de la sainteté que Dieu nous donne en partage. Jésus nous le redit avec force : « soyez saints comme votre Père céleste est saint » ! Amen.