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Carême : vivre l’aujourd’hui de Dieu

mercredi 6 mars 2019Expression de l'évêque

Au quotidien, nous nous laissons souvent happer par l’immédiat. Comme il nous est difficile d’habiter le présent sans nous y enfermer, par insouciance ou recherche du plaisir. Nous ne sommes pas très à l‘aise dans notre rapport au temps. Ou bien nous sommes plongés dans la nostalgie d’un passé idéalisé. Certains s’évertuent à le maintenir ou le reconstituer dans des formes ou des pratiques jadis connues. Ou bien nous sommes totalement investis dans des projets de réussite et d’épanouissement, alimentés par nos désirs et qui transforment notre existence en poursuite incessante d’un rêve impossible.

Le Carême dans lequel nous nous préparons à entrer, est une période propice pour apprendre à vivre un juste rapport au temps. C’est nécessaire pour notre foi. Accrochés à notre passé, enfermés dans le présent comme un éternel immédiat, ou réfugiés dans l’évanescence de nos rêves, nous sommes incapables de vivre une relation juste avec le Seigneur, comme avec les autres et avec nous-mêmes. Le Seigneur ne cesse de venir à notre rencontre. Mais ne nous trouve-t-il pas, la plupart du temps, aux abonnés absents ? Le temps de Dieu, c’est l’aujourd’hui. Affirmer cela n’est pas prétendre que Dieu nous emprisonne dans le présent, mais qu’Il nous invite à le vivre pleinement comme un « aujourd’hui » que le passé éclaire et permet de comprendre, et que l’avenir met en relief et rend signifiant.

L’aujourd’hui du salut

Ce qui qualifie notre aujourd’hui, c’est le salut de Dieu mis à notre portée. Depuis que le Christ nous a rejoints et a consenti à donner sa vie pour nous, le salut de Dieu se conjugue au présent. Il nous est offert en permanence. Le temps du Carême est le moment propice de le redécouvrir. L’expérience de Zachée est une belle illustration de ce que nous sommes appelés à vivre en ce temps de Carême. Jésus nous dit : « il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison » (Luc 19, 5) et « aujourd’hui, le salut est venu pour cette maison » (Luc 19, 9).

Le temps liturgique dans lequel nous entrons nous fait réentendre la sollicitation du Christ. Nous voici conviés à accepter Jésus dans notre vie et à prendre le temps de la rencontre. Si nous persistons à nous soustraire à la grâce que Dieu nous offre, il y a fort à parier que notre présent restera fade, notre attachement au passé ne sera que nostalgie stérile, et notre espérance sera chimérique. Le Carême nous réveille et nous invite à vivre avec réalisme et foi, l’aujourd’hui du salut de Dieu.

Une existence façonnée par le salut de Dieu

Pour ajuster notre vie à cet aujourd’hui, l’Evangile que nous entendons lors de notre entrée en Carême, nous suggère trois attitudes qui donnent forme à notre existence de disciple du Christ.

  • la pratique de l’aumône développe en nous l’esprit de partage. La pauvreté se réalise dans un détachement des biens matériels. Nous ne sommes pas propriétaires exclusifs de ce que nous possédons. Cette exigence est inscrite dans notre appartenance à l’humanité. Nous disposons des biens de la création, mais nous n’en sommes pas propriétaires. La Doctrine sociale de l’Eglise parle de la « destination universelle des biens ». Sommes-nous sensibles aux inégalités dans l’accès aux moyens de vivre ? Ce que le pape François appelle les trois T : terre, toit, travail ? C’est pourquoi l’Eglise fait du temps de Carême, un temps fort de partage. Faisons bon accueil à la campagne annuelle du CCFD.
  • la pratique de la prière est foncièrement expérience du décentrement de soi. Ce que Dieu me propose de vivre dépasse ce que je peux en percevoir tout seul. La Parole me donne à entendre un appel. Mais comment le Seigneur pourrait-il toucher mon cœur sans des temps de silence, de recueillement et de prière ? L’Esprit-Saint peut nous renouveler profondément dans l‘écoute de la Parole et la fréquentation régulière des sacrements, surtout la Réconciliation et l’Eucharistie. Durant le Carême, me voici invité à soigner les temps de prière personnelle, de fréquentation des Ecritures et la participation aux sacrements.
  • la pratique du jeûne permet de suspendre nos appétits humains, de vivre de façon plus sobre. Le pape François nous y appelle ; « La sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice. Ce n’est pas moins de vie, ce n’est pas une basse intensité de vie mais tout le contraire… On peut vivre intensément avec peu, surtout quand on est capable d’apprécier d’autres plaisirs et qu’on trouve satisfaction dans les rencontres fraternelles, dans le service, dans le déploiement de ses charismes, dans la musique et l’art, dans le contact avec la nature, dans la prière. Le bonheur requiert de savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent… Ce qui fait un homme, c’est la capacité de prendre ses distances avec l’immédiateté de ses instincts et de ses appétits. Jeûner ne va jamais sans prier, écouter la Parole et vivre le partage» (Laudato si’ 223). Le Carême est un temps propice pour redécouvrir le prix de la gratuité pour une vie de qualité !
Des communautés de sauvés

Le salut de Dieu n’est pas une hygiène mentale, ni une thérapie individuelle. Pour accueillir l’aujourd’hui du salut de Dieu, nous avons besoin d’une communauté d’Eglise qui, dans l’écoute de la Parole de Dieu, dans la célébration de l’Eucharistie et de la Réconciliation, dans la prière et le partage avec les plus pauvres, nous fait vivre le temps du Salut. Durant le Carême, ayons à cœur de vérifier que nous communautés chrétiennes soient bien des signes du salut, de la joie de l’Evangile reçu, vécu et annoncé. « Il y a des chrétiens qui semblent avoir un air de Carême sans Pâques » disait le pape François dans Evangelii gaudium 6. Pourtant, « il nous est proposé de vivre à un niveau supérieur, et pas pour autant avec une intensité moindre : la vie augmente quand elle est donnée et elle s’affaiblit dans l’isolement et l’aisance » (10).

Je vous exhorte, en ce temps de Carême de veiller à ne pas vivre à contretemps de Dieu. Que ce soit un temps fort de redécouverte de la joie de l’Evangile et la joie de l’annoncer.

+ Jean-Luc BRUNIN

Évêque du Havre