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Donner ses chances au dialogue citoyen

vendredi 7 décembre 2018Expression de l'évêque

Déclaration de Mgr Brunin au sujet des événements sociaux

Donner ses chances au dialogue citoyen

Les mouvements sociaux qui secouent notre pays révèlent la réalité de la fracture sociale. Elle n’est pas tant idéologique qu’existentielle, liée à un décrochage économique et un sentiment d’exclusion sociale. Les mouvements de colère et de révolte proviennent en grande partie de personnes qui éprouvent douloureusement le sentiment de ne compter pour rien, d’être ignorées, de n’avoir aucune prise sur les décisions, d’être les oubliées du système qui régit la société. Pouvons-nous durablement garantir une cohésion sociale avec près de 3 millions de personnes privées d’emploi ou en emploi précaire ? … avec 9 millions de nos concitoyens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ?


La révolte sociale a éclaté avec l’annonce d’augmentation des taxes sur les carburants. Mais au-delà de cette mesure qui participe de la transition énergétique, c’est le poids des prélèvements fiscaux et les difficultés de boucler les fins de mois dans beaucoup de familles, qui génèrent ce mouvement de désespoir et de colère. Nous ne pouvons accepter les violences, verbales ou physiques, celles qui portent atteinte à l’intégrité physique des personnes (manifestants et membres des forces de l’ordre) et des biens, celles qui sont causées par l’exclusion des plus pauvres et le rejet des migrants, celles qui visent à déstabiliser les institutions et à compromettre le fonctionnement de l’Etat.


Ces événements graves qui affectent la vie sociale et politique de notre pays, ne peuvent laisser les chrétiens indifférents. Nous sommes éclairés par notre foi au Christ venu rassembler l’humanité dans une fraternité ouverte au nom d’un Dieu, Père de tous les hommes. J’appelle donc les chrétiens à s’abstenir, dans leurs paroles, leurs comportements ou leurs initiatives, de « jeter de l’huile sur le feu » pour ne pas aggraver encore les divisions au sein de la société française…


Le document des évêques de France, à l’automne 2016, – Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique -, faisait déjà le constat que nous vivions dans une société où on ne se supporte plus, où on perd le sens du dialogue et du débat. Nous nous révélons trop souvent incapables de resituer nos attentes individuelles dans une perspective globale qui, seule, permettra une juste vision du bien commun. L’absence des corps intermédiaires dans les événements que nous traversons, se fait sentir cruellement en ces temps de troubles. Elle handicape l’action des responsables politiques et compromet l’efficience du dialogue social. Sans les corps intermédiaires, les solidarités ne peuvent que s’étioler ou se reconstruire de façon catégorielle ou, pire encore, instaurer l’anarchie, la violence et la loi du passage en force.


Pour conjurer toute action violente et sortir de la crise qui secoue notre pays, la proposition du gouvernement d’initier des débats décentralisés dans les divers territoires, semble être une piste intéressante qu’il ne faut pas ni méconnaître, ni bouder. De tels espaces de dialogue doivent rassembler élus, organisations syndicales, associations, ainsi que les citoyens qui voudront y prendre part. Dans le diocèse du Havre, je veux encourager les fidèles laïcs à participer activement à ces dialogues citoyens. Ce seront des lieux importants pour définir les modalités d’un système fiscal plus juste, un développement économique plus inclusif, mettant au centre le souci de l’homme avant le profit financier. Mais il faudra aussi veiller à ce que les débats abordent les modalités de lutte contre le réchauffement climatique et le respect de l’environnement naturel.


Il faudra aussi veiller à dépasser la seule et nécessaire expression des mécontentements et des revendications, pour aller jusqu’à la proposition de vraies solutions réalistes et efficaces. Pour cela, les dialogues engagés doivent consentir à définir le sens de ce que nous voulons construire ensemble, à partir de références théoriques et éthiques. Celles-ci peuvent être fournies par les corps intermédiaires (analyses et projets des partis politiques, des organisations syndicales, des associations…), mais aussi par les citoyens.


Les chrétiens sont engagés diversement dans la société. Leur vision de l’avenir et leurs analyses des situations sociales peuvent légitimement diverger. Cependant, ils doivent pouvoir s’impliquer dans le dialogue proposé, avec les outils que fournit la pensée sociale de l’Eglise, notamment, sur les questions actuellement débattues, de l’enseignement du pape François dans l’encyclique Laudato si’. Il fournit les moyens de dépasser l’opposition contre-productive entre l’action pour la transition écologique, nécessaire pour sauver la planète, et l’action pour garantir le pouvoir d’achat, aussi nécessaire pour assurer plus de solidarité et davantage d’équité dans les moyens de vivre. Nous ne pouvons nous résoudre à voir se déconnecter ces deux champs de responsabilité collective.


Les événements difficiles que nous traversons, vérifient la justesse des analyses et des propositions du pape François : « Tout est lié » … « écologie intégrale » … « entendre la clameur des pauvres et la clameur de la terre » ! La transition énergétique pour maintenir les engagements de la COP 21, repris et chiffrés aujourd’hui par la COP 24 en Pologne, doit être poursuivie avec détermination. Il y a urgence ! Mais la transition solidaire qui permettra aux plus pauvres et aux plus fragiles de vivre dignement, doit l’être tout autant. Il ne serait pas acceptable que le coût de la transition énergétique pèse trop lourdement sur les personnes et les familles les plus pauvres. D’autres ressources financières peuvent et doivent être mobilisées. Les chrétiens qui participeront aux débats citoyens, doivent pouvoir faire valoir ce que le pape François appelle la « conversion écologique ». Elle engage à la recherche de nouveaux comportements et à des engagements concrets pour construire les modalités de notre vivre ensemble, respectueux de la terre et des plus pauvres.


Il n’appartient pas à l’Eglise catholique d’élaborer des solutions susceptibles de sortir de la crise que nous traversons. Mais il lui revient d’inviter et de mobiliser les chrétiens et toutes les personnes de bonne volonté, à prendre part activement à la construction d’une vision partagée du bien commun et à la prise de conscience d’une communauté de destin sans lesquelles il ne peut y avoir de société juste, pacifiée et fraternelle.

+ Jean-Luc BRUNIN
Évêque du Havre