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Homélie des funérailles de Mgr GUYARD

mercredi 4 août 2021Communauté

Notre société hypermédiatisée impose à nos existences un rythme effréné et une perpétuelle fuite en avant dans la consommation ou la recherche du bien-être. La perspective de la mort est réduite à une idée, parfois un sujet de réflexion et de débat sur le « comment mourir ». Lorsqu’elle surgit dans notre environnement familial et social, elle reste souvent contenue dans les limites de la vie privée. Lorsqu’elle devient spectacle sur nos écrans, elle devient une mort anonyme, sans visage, au gré des catastrophes naturelles ou des actes de violence.

Or, voici plus d’une année que la mort a fait irruption sur la scène de notre vie quotidienne. On se souvient tous de ces énumérations quotidiennes du nombre de victimes de la Covid 19. La mort est ainsi apparue quotidiennement sur la scène médiatique comme un événement nous concernant : événement envisageable, mais événement incontournable. Le théologien jésuite Karl RAHNER parlait de la mort comme d’une ascèse, un dépouillement nécessaire qui attend tout le monde un jour. Nous n’avons pas fini de mesurer les conséquences de cette période de crise sanitaire que nous traversons, en particulier sur notre rapport personnel mais aussi collectif à la limite et à la mort. Puisse le Seigneur nous guérir de nos illusions de toute-puissance ou de nos rêves d’une humanité dépassée et augmentée. Notre existence humaine possède une limite, une fin. Dans l’évangile que Mgr Guyard a choisi pour la célébration de ses obsèques, nous entendons le Christ attester que notre vie ne sera éternelle qu’en passant par Lui qui, par sa croix, a vaincu la mort : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi… Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi ».

Ni ma puissance ni ma faiblesse ne sont des chemins vers Dieu, ni ma richesse ni ma pauvreté… Livré à moi-même, je ne peux trouver le chemin de la Vie parce que ma demeure n’est pas ici : elle est auprès du Père. Et si je peux connaître et m’engager sur ce chemin, c’est qu’il m’est ouvert et révélé par le Christ. Il est le seul chemin vers le Père, là où se tient ma demeure éternelle, là où j’ai une place préparée et où je recevrai, comme un cadeau, ma pleine identité de fils bien-aimé. Oui, le seul chemin vers l’horizon d’éternité de ma vie, c’est Jésus. Un chemin sur lequel on avance par la foi. Annoncer cela aujourd’hui n’est peut-être pas évident. Pourtant, comme disciples du Christ, nous sommes appelés à porter cette parole d’espérance au moment où notre société redécouvre la fragilité de toute existence et de toute construction humaine. Là où nous vivons, nous sommes appelés à rendre au monde une espérance fiable. Mgr Guyard avait engagé le diocèse dans la démarche des « pèlerins de la charité » qui invitaient les disciples du Christ à vivre un compagnonnage humain solidaire. Pour autant, il ne suffit pas de raviver quelques espoirs humains. Même si c’est important, encore faut-il indiquer le seul chemin qui donne à notre existence sa pleine dimension, dans la traversée même de ses limites et de sa mort. Ce chemin, c’est l’adhésion confiante au Christ que nous nous efforçons de suivre au quotidien. Il a donné sa vie pour nous et il nous offre ainsi, dès aujourd’hui, une Vie nouvelle, une dignité retrouvée de fils et filles bien-aimés du Père.

La confiance radicale dans la parole du Christ habitait la vie de Mgr Michel Guyard. Elle a nourri sa foi comme il l’exprimait lui-même dans une prière qu’il avait composée, voici quelques années, à partir du psaume 22 qu’à sa demande, nous avons prié ensemble il y a quelques instants : « Je connais bien ce Psaume, et j’aime le chanter quand je n’ai pas trop de soucis dans ma vie…  Reconnais Seigneur, que ce n’est pas toujours clair et évident. Je sais que Tu m’invites toujours à Te faire confiance, mais c’est parfois la révolte qui m’envahit, devant les espoirs déçus, les échecs et le découragement … Viens à mon aide, augmente en moi la foi, … Aide-moi à comprendre que ma faiblesse ne doit pas m’écraser mais au contraire Te la présenter pour qu’elle ouvre en moi un espace où Tu puisses m’y rejoindre pour me donner la force de ton Esprit-Saint … ton Amour et ta Miséricorde sont sans faille … avec Toi, je retrouverai la confiance et la paix intérieure qui me permettront de continuer à assumer ma mission auprès de ceux que Tu m’as confiés ».

Ce qui frappe dans cette prière par laquelle il nous introduit un peu dans le mystère de sa relation personnelle au Seigneur, c’est la dimension pastorale. Comme évêque, notre frère Michel ne se présentait jamais seul face au Seigneur. Il y allait avec le peuple confié à son ministère. Sa prière pastorale se nourrissait de sa relation intime au Christ, mais aussi de son attachement aux personnes qu’il rencontrait et accueillait dans son ministère, ici au Havre, mais aussi dans ses différentes missions dans le diocèse de Paris, ou récemment à Lisieux. Beaucoup soulignent depuis son départ, son écoute attentive et son accompagnement fraternel.

Lorsque sa retraite approchait, il a ressenti un appel à donner une forme nouvelle à son ministère. Cela l’avait saisi alors que, se rendant à Lisieux, il voyait défiler la foule des pèlerins. Parmi eux, il remarquait des gens perdus, en souffrance, en quête de réconciliation et de sens pour leur vie. Ils venaient auprès de Ste Thérèse dans l’espoir de trouver ou retrouver un second souffle, un chemin de vie. Sa décision fut prise et, en accord avec Mgr Boulanger, il devint un des chapelains au sanctuaire de Lisieux. Il me disait encore en juin dernier, combien il était heureux dans ce ministère. C’était au cours d’une journée que nous avons passée ensemble pour découvrir la nouvelle Maison d’Eglise, le Centre Oasis à Fécamp. Je me souviens de son conseil donné à l’équipe de chrétiens qui assure l’accueil dans cet espace d’Eglise. Il leur suggérait d’afficher à l’entrée du Centre Oasis, les mots « présence, écoute et partage »… « des mots simples qui donnent envie de rentrer, – disait-il -, des mots qui ont du sens pour tous  les gens aujourd’hui et pas seulement pour les fidèles habitués …. Je l’ai vu heureux de ces initiatives prises dans le diocèse qu’il a servi durant huit années. Il révélait ainsi son véritable cœur de pasteur qui, jamais, ne se prenait trop au sérieux. Il veillait à ne jamais prendre la place du Christ, mais à mettre en rapport avec Lui. Mgr Michel Guyard était spirituellement libre et disait les choses nettement, comme il le pensait, parfois de façon abrupte, mais toujours dans un souci de vérité, pour faire grandir. Le ton, parfois bourru, était toujours atténué par l’humour et une véritable proximité et charité pastorales.

Aujourd’hui, le Seigneur l’accueille comme un fidèle serviteur qui, humblement, a tenu sa place pour servir et coopérer à la Mission du Christ. Il avait compris que ce choix de la fidélité à l’appel qu’il avait reçu, le faisait avancer avec assurance, sur un chemin vers la Vie. Je lui laisse les derniers mots tirés d’une autre prière qu’il a écrite et intitulée « Le dépouillement serein devant la mort » :

« Aujourd’hui, Seigneur, je choisis la Vie et je renonce à tous mes choix de mort. Avec ta Grâce, je choisis de ne pas me laisser entraîner dans la tristesse, le découragement. Je choisis de ne pas jouer la victime et l’éploré. Aujourd’hui est un jour nouveau où, avec Toi, tout peut commencer ».

+ Mgr Jean-Luc Brunin

Évêque du Havre