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Homélie pour la Messe du 11 Novembre 2018

lundi 12 novembre 2018Expression de l'évêque

Les textes de cette liturgie nous présentent deux veuves, celle de Sarepta qui offre l’hospitalité au prophète Elie, et la veuve observée par le Christ dans le Temple de Jérusalem. Dans les deux cas, il est question de don… L’une et l’autre prennent sur leur nécessaire pour offrir ce qui leur semble représenter un impératif de partage.  L’une et l’autre sont admirées et louées pour la générosité et l’abnégation dont elles font preuve.

En cette célébration du 100ème anniversaire de l’armistice du 11 novembre 2018, nous ne pouvons qu’être sensibles aux gestes de ces deux femmes et à la dynamique de don qu’elles expriment. Nous rassemblons dans un même souvenir, toutes les victimes civiles et militaires qui ont perdu la vie durant ce terrible conflit armé qui a ensanglanté l’Europe. À côté des personnes civiles à qui on a volé la vie, nous faisons mémoire des combattants et du sacrifice de leur vie pour la patrie qu’ils ont voulu défendre et servir. Comme le Christ, ils sont allés au bout du don d’eux-mêmes. L’amour des autres que Jésus réclame de ses disciples, a pris pour eux la forme de l’amour de la patrie. Ils se sont sacrifiés pour garantir à leur famille et à leurs concitoyens, la prospérité et la paix que quatre années de combats sanglants avaient compromis. Il est normal et juste que les chrétiens s’unissent en ce 100ème anniversaire à l’hommage de toute la nation.

Mais comment ne pas nous souvenir, au moment où nous commémorons la fin des combats de 1918, qu’une trentaine d’années plus tard, un nouveau conflit mondial allait éclater au cœur de l’Europe et embraser toutes les parties du monde ? Cela ne doit pas manquer de nous interroger.  Commémorer le 100ème anniversaire de la fin de la guerre 14-18 qui a fait tant de morts, de veuves et d’orphelins, doit nous conduire à évaluer, pour aujourd’hui, les chances de la paix, dans notre environnement social immédiat, dans notre pays, en Europe et dans le monde entier. Cela réclame de notre part lucidité et responsabilité. Le pape François nous alerte sur la situation de notre monde aujourd’hui. Depuis 2014, il évoque régulièrement la « troisième guerre mondiale ». Pour lui, le terrorisme et les conflits armés qui secouent le monde, mais aussi les attentats qui frappent d’innocentes victimes sont autant de « morceaux » de cette guerre « non-conventionnelle » et « disséminée ».

Dans une telle situation, il rappelle notre responsabilité de chrétiens pour encourager la poursuite du processus de construction européenne. Il attire notre attention sur deux réalités qui sont au cœur de l’unification de l’Europe : le respect de la dignité de toute personne humaine et le souci de construire une communauté de destin. Lors d’une rencontre à Rome, en octobre dernier, qui rassemblait des délégations des responsables politiques et des évêques délégués de chaque de l’Union européenne, il précisait ce que l’Eglise devait engager dans le débat sur l’avenir de l’Europe :

« La plus grande contribution que les chrétiens puissent offrir à l’Europe d’aujourd’hui, c’est de lui rappeler qu’elle n’est pas un ensemble de nombres ou d’institutions, mais qu’elle est faite de personnes. Malheureusement, on remarque comment souvent tout débat se réduit facilement à une discussion de chiffres. Il n’y a pas les citoyens, il y a les suffrages. Il n’y a pas les migrants, il y a les quotas. Il n’y a pas les travailleurs, il y a les indicateurs économiques. Il n’y a pas les pauvres, il y a les seuils de pauvreté. Le caractère concret de la personne humaine est ainsi réduit à un principe abstrait, plus commode et plus apaisant [1]»

Et encore : « Reconnaître que l’autre est surtout une personne signifie valoriser ce qui m’unit à lui. Le fait d’être des personnes nous lie aux autres, nous fait être communauté. Donc, la deuxième contribution que les chrétiens peuvent offrir à l’avenir de l’Europe est la redécouverte du sens d’appartenance à une communauté. Ce n’est pas un hasard si les Pères fondateurs du projet européen ont choisi précisément ce mot pour identifier le nouveau sujet politique que se constituait. »

En cet anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918, nous ne pouvons oublier que la construction européenne n’a pas été le fait d’amis qui voulaient défendre des intérêts communs, mais de peuples longtemps ennemis, qui décidaient de surmonter ensemble leurs égoïsmes, leur animosité et leur désir de vengeance. Ouvrant, par une série de traités et de conventions, un espace de coopération et d’échanges, ils ont permis de garantir la paix de façon durable. Au point que les jeunes générations au sein de l’Union européenne, n’ont jamais été confrontées à la guerre et aux combats meurtriers.

Commémorer la fin de ce qu’on a nommé la « Grande Guerre », c’est nous reconnaitre redevables de ceux qui nous ont offert, par le sacrifice de leur vie, un avenir de paix et d’entente entre les peuples. Nous nous souvenons que la paix est fragile et toujours menacée par les égoïsmes nationaux ou les appétits voraces des puissants. Nous souvenant et priant pour les victimes de la « Grande Guerre », nous nous reconnaissons les héritiers de l’avenir. Si nous ne travaillons pas activement pour la paix, près de chez nous et dans le monde, nous ne serons pas dignes du sacrifice qu’ils ont accepté pour nous assurer la paix.  Celle-ci nous est confiée pour que nous lui permettons de s’instaurer durablement, partout où nous vivons. Qu’en cette Eucharistie où nous prions pour les victimes de la Grande Guerre, demandons au seigneur de convertir nos cœurs pour que nos intelligences et nos volontés s’engagent résolument au service d’une société harmonieuse et d’un monde pacifié et fraternel.

+ Jean-Luc Brunin

Évêque du Havre

[1] Pape François, Rencontre sur l’Europe, Rome, 28 octobre 2017.