Actualités

Invités à la fraternité

lundi 11 janvier 2021Expression de l'évêque

Extrait du texte de Mgr Jean-Luc Brunin – Havre et Caux décembre

Dans le diocèse, il a été choisi de vivre le temps de l’Avent en nous laissant guider par le texte de la dernière encyclique du pape François, Fratelli tutti. « Tous frères » : ces deux mots retentissent à la fois comme un constat et un défi qui nous appelle à une conversion du cœur et une mise à l’action pour ‘fraterniser’ toutes nos relations et nos espaces de vie. En lisant et travaillant cette encyclique, nous serons certainement bousculés. Des analyses du pape François nous paraîtront trop sévères et nous prendront surement à rebrousse-poil. Pourtant, si nous acceptons de nous laisser déplacer dans nos certitudes ou nos opinions toutes faites, les propos du Saint-Père stimuleront un engagement solidaire et fraternel auquel tout disciple du Christ, au titre de son baptême, ne peut se soustraire.

Un diagnostic sur notre monde malade

Dans le premier chapitre intitulé « Les ombres d’un monde fermé », le pape constate : « Plus que jamais nous nous trouvons seuls dans ce monde de masse qui fait prévaloir les intérêts individuels et affaiblit la dimension communautaire de l’existence » (12) oui, il faut le reconnaître : notre monde va mal ! Dans sa précédente encyclique, Laudato si’, le constat était aussi sévère. Les obstacles à la préservation de « notre maison commune » étaient désignés : une construction européenne en panne, recul de la coopération internationale, conflits multiples, replis nationalistes, obsession de la compétitivité, exclusion des plus faibles, creusement des inégalités, désintérêt pour le bien commun, menaces sur l’environnement et la biodiversité, gaspillage des ressources non renouvelables de la planète… Dans ce monde, « les sentiments d’appartenance à la même humanité s’affaiblissent et le rêve de construire ensemble la justice ainsi que la paix semble être une utopie d’un autre temps » (30).

L’unité de la famille humaine

Vouloir édifier l’unité de la famille humaine correspond au rêve même du Dieu Créateur. Ayant appelé les humains à l’existence, Il n’a de cesse de les voir se rassembler dans une relation d’alliance entre eux et avec Lui. Pour autant, le pape François ne valorise pas la « globalisation » qu’il appelle « ce faux rêve universaliste », « un universalisme autoritaire et abstrait, conçu et planifié par certains et présenté comme une aspiration prétendue pour homogénéiser, dominer et piller » (100).

L’unification de l’humanité par la technocratie prive le monde de ses diversités culturelles. Tous les peuples passent par le moule réducteur de la production/consommation à des fins financières. Les spécificités des peuples sont niées. C’est un appauvrissement de notre humanité. « Notre famille humaine a besoin d’apprendre à vivre ensemble dans l’harmonie et dans la paix sans que nous ayons besoin d’être tous pareils ! » (100)

« L’amitié sociale » donne sens à nos engagements pour « faire renaître un désir universel d’humanité » (8). Ce n’est pas un universalisme « abstrait et autoritaire » (100) ni « abstrait et globalisant » (142). Il ne se méfie pas des cultures locales au point d’éliminer toutes les différences et toutes les traditions dans une recherche superficielle d’unité. Nous qui vivons dans une société pluriculturelle, veillons à ne pas nous laisser entraîner dans une confusion entre laïcité et homogénéisation. Chaque entité humaine formant le kaléidoscope de notre société doit pouvoir s’exprimer sans céder au séparatisme qui s’origine souvent dans le rejet ou le manque de respect des autres.

Promouvoir des espaces de fraternité

Les disciples du Christ ne peuvent se contenter d’être des spectateurs d’un monde qui se laisse entraîner dans des dérives déshumanisantes. L’engagement pour la fraternité suppose le respect de la dignité et des droits de chaque personne humaine, de sa conception à la fin de son existence terrestre. Dans nos sociétés occidentales, nous connaissons une vraie inflation de discours et de législations sur le respect des droits individuels. Malheureusement, cet impératif « cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique ». De ce fait, « si le droit de chacun n’est pas harmonieusement ordonné au bien plus grand, il finit par se concevoir comme sans limites et, par conséquent, devenir source de conflits et de violences » (111)

La crise sanitaire et sociale que nous traversons nous rappelle « que personne ne se sauve tout seul, qu’il n’est possible de se sauver qu’ensemble » (32). Le temps est donc venu de mettre en œuvre concrètement, ce que le saint pape Jean-Paul II appelait « la mondialisation de la fraternité ». Nous y travaillons ensemble lorsque nous empruntons les chemins que le pape François nous propose pour bâtir une société humaine et fraternelle. Cela nous appelle à humaniser nos relations, privilégiant tout ce qui donne priorité aux plus fragiles en met en œuvre des processus d’inclusion sociale autant qu’ecclésiale. Nous travaillons ainsi à faire advenir, dans les espaces que nous habitons, des « clusters de fraternité » qui, peu à peu, changeront le visage de notre société.

+ Jean-Luc BRUNIN

Évêque du Havre