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Oxygéner la vie ecclésiale

lundi 4 avril 2022Diocèse

Au moment où j’écris ces lignes, l’Europe connaît un conflit armé meurtrier en Ukraine. Et nous qui pensions que notre continent avait éloigné durablement les risques de guerre sur son sol ! Mais la résurgence de courants impérialistes et souverainistes a remis la guerre au goût du jour comme moyen d’assouvir des volontés expansionnistes. Les maux du XXème siècle seraient-ils de retour ? A la sidération qui gagne les populations, peut s’ajouter la tentation du repli protecteur. Les catholiques ne sont pas indemnes de tels mouvements de fermeture et de repli identitaire. Plus l’ouverture apparaît risquée, plus on se ferme sur nous-mêmes, dans des espaces protégés et à distance des autres.  

Un chemin d’espérance

La situation rendue difficile par les crises successives que nous traversons, obligent à retrouver l’espérance offerte en Christ mort et ressuscité. L’espérance chrétienne pourra-t-elle impacter concrètement notre vie et celle de nos communautés ? Ou bien ne sera-t-elle qu’une esthétique déconnectée des défis qu’il nous faut relever pour vivre en fidélité à la mission que le Christ nous confie pour le monde ?

Ces réflexions concernent nos communautés chrétiennes qui peuvent, pour certaines d’entre elles, être au bord de l’asphyxie. Des acteurs pastoraux et des chrétiens en responsabilité disent qu’ils s’essoufflent et peinent à se renouveler. Beaucoup se découragent en constatant la difficulté de mobiliser de nouveaux acteurs de la vie ecclésiale. La situation réclame beaucoup d’attention bienveillante et de soutien à ces baptisés conscients d’être appelés à s’impliquer dans la vie et la mission de leur Eglise. Mais la situation ne peut nous conduire à emprunter les chemins du déclinisme, de la rancœur à l’égard d’une société jugée peu ouverte à la proposition de l’Evangile.

Des attentes à prendre au sérieux

Nos contemporains ne renoncent pas à chercher du sens à ce qu’ils vivent, mais ils le font en inventant leur chemin. Les catéchumènes qui seront baptisés à Pâques ou les confirmands adultes qui recevront le don de l’Esprit à la Pentecôte, en témoignent. Chaque communauté serait bien inspirée de vivre une rencontre avec ses néophytes et ses nouveaux confirmés. Ce serait une heureuse mise en œuvre de la démarche synodale pour « oxygéner » nos communautés. « Les chrétiens bloqués au “On a toujours fait comme ça” ont un cœur fermé aux surprises de l’Esprit Saint et n’arriveront jamais à la plénitude de la vérité parce qu’ils sont idolâtres et rebelles » (pape François, 18 janvier 2016)

Les personnes qui frôlent l’Eglise et manifestent un intérêt  au témoignage des chrétiens, se méfient de toute officine qui proposerait la vérité en pilules ou l’identité en prêt-à-porter. Jésus se présente comme « le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14, 6). L’ordre des mots est important : emprunter le chemin qu’est le Christ pour progresser vers la vérité afin d’expérimenter la Vie que Dieu nous offre. Les théologiens parlent d’une vérité hodologique, (du grec hodos = chemin) qui se découvre en avançant.

Une pastorale de l’accompagnement

Les communautés soucieuses de porter l’annonce de l’Evangile, se doivent d’être attentives à la diversité des itinéraires et au respect des cheminements. Nous comprenons pourquoi le pape François insiste sur l’ouverture à tous et sur l’importance pastorale de l’accompagnement. Dans un discours en janvier 2017, à propos de l’accompagnement des jeunes, il mettait en garde contre « tout mode d’accompagnement qui crée des dépendances », pour privilégier un « engagement qui ne peut pas être autre chose que rester à leurs côtés, pour les imprégner avec la joie de l’Evangile et l’appartenance au Christ».

Nécessité de communautés ouvertes

Pour vivre la mission, l’Eglise a besoin que nous fassions exister sur le terrain social, des communautés ouvertes, signes d’Evangile et capables d’accompagner les personnes à partir de ce qu’elles sont. On n’impose pas la vérité de l’Evangile, elle est toujours de l’ordre du cheminement à la suite de Jésus et de la découverte au cœur de l’expérience croyante.

Les communautés sont des organismes vivants qui veulent exister, s’affirmer et prospérer. Mais elles ne peuvent le faire qu’en sortant de « l’autoréférentialité » pour servir la rencontre avec le Christ. Sa personne et son message sont centraux : ils sont porteurs d’une espérance profondément humaine, révélée par un Dieu immergé dans l’humain. La Vie vers laquelle le Christ conduit ceux et celles qui le suivent, n’est pas de l’ordre de la norme, du dogme, des rites figés ou des règles sacrées à respecter, mais elle relève de l’ouverture, du chemin accompagné et de l’aménagement de l’espace pour que s’y révèlent les signes du Royaume.

Une mission une mais diversifiée

Dans notre diocèse, nous nous efforçons d’avancer sur ce chemin qui valorise l’ouverture à tous, la mise en rapport avec le Christ et son message, et l’aménagement d’espaces qui offrent l’hospitalité aux dynamiques du Royaume. L’unique mission de l’Eglise diocésaine se vit de façon diversifiée : une vie paroissiale offrant tout ce qui est nécessaire pour faire vivre la foi, la nourrir et la célébrer ; une action apostolique ouverte à tous, respectueuse des cheminements et des itinéraires singuliers qu’il faut accompagner, sans jugement à-priori ; l’animation d’espaces « tiers-lieux » où peut s’expérimenter de façon prophétique la vie du Royaume. Notre mission se situe bien dans la ligne de la mission même du Christ, telle que les évangiles nous en parlent. Instruisant ses disciples, les formant à la relation au Père, il ne cessait de sortir à la rencontre des personnes, au hasard des chemins, pour leur révéler la grandeur et la proximité du Royaume de Dieu, et les inviter à y convertir leur vie.

En notre temps, pour donner corps à la mission du Christ dans cette diversité de modalités, nous avons besoin des paroisses, des mouvements apostoliques et des espaces créés en « Maisons d’Eglise ». Il ne s’agit pas de privilégier l’une ou l’autre de ces formes, mais de les articuler dans une pastorale globale, au niveau de chaque Unité Pastorale et de l’ensemble du diocèse.

La mission de l’Eglise vit du Souffle de l’Esprit de Pentecôte qui « oxygène nos communautés ». « Cela ouvre la porte à une pastorale positive, accueillante qui rend possible un approfondissement progressif des exigences de l’Évangile » (Amoris laetitia, 38)

+ Jean-Luc BRUNIN, Évêque du Havre