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Commentaire de François Cassingena-Trevedy, moine de Ligugé

jeudi 30 août 2018Non classé

Commentaire de François Cassingena-Trevedy, moine de Ligugé sur l’évangile de St Jean 21, 15-19

 

Saint Pierre est mis à la question : « M’aimes-tu ? ». C’est auprès d’un feu que Pierre avait renié : c’est dans un feu qu’il confesse, car le brasero où les reliefs de la pêche achèvent de frire est moins éprouvant que ce regard de braise qui se lève, tel un inévitable matin. Oh, comme il est redoutable de tomber dans ce creuset-là, de rencontrer, les yeux dans les yeux, le Dieu vivant ! Jésus avait déjà mis Pierre à la question, autrefois, sur l’autre rive de sa vie, à Césarée : « Qui suis-je ? ». Et Pierre avait confessé : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Là, c’était la confession de foi ; ce matin, passé la mort et la nuit, c’est la confession de charité :: « Tu sais tout, tu sais bien que je t’aime ». On parle volontiers de la ‘confession de Pierre’, mais on oublie généralement qu’il y en a deux. Jean, celui qui court plus vite, a refait la première ce matin en s’exclamant : « C’est le Seigneur ! » ; mais Pierre, en faisant la seconde et en disant ‘je t’aime’, le rattrape, et quoiqu’abîmé, accidenté par sa lâcheté de l’autre nuit, le dépasse finalement : Pierre, le brûlé vif, préside à la charité.

Tout est devenu clair entre eux et lui, entre nous et lui. S’il y a deux confessions de notre part, c’est qu’il n’y a, de sa part à lui, que deux questions : ‘Qui suis-je ?’ et ‘M’aimes-tu ?’

M’aimes-tu ? Question de Dieu même, qui nous hèle depuis si longtemps et de si loin, question désarmante parce qu’elle défait Dieu de tout ce dont nous l’avions affublé, parce qu’elle défait le dieu que nous nous étions fait nous-mêmes. (…) Le Ressuscité, le Roi des Rois et Seigneur des Seigneurs, est-il un mendiant ? Voilà qu’il a faim, et qu’il a encore cette question subsidiaire à nous poser – celle de l’amour – parce qu’elle lui reste sur le cœur… Il y a de quoi en avoir le vertige. Mais c’est là, très probablement, la Bonne Nouvelle, le fin mot de l’Evangile et de toute l’histoire.

Demain – que dis-je : tout à l’heure – une fois passée la porte de l’église, vous retournerez, nous retournerons tous à notre métier quotidien comme si de rien n’était, comme si ‘Je-Suis’ n’existait pas… (…) Puissions-nous seulement descendre tout au fond, au plus obscur de nous-mêmes, là où peu à peu il se fait Jour, nous asseoir auprès de ce Feu qui nous regarde et qui nous somme de répondre à ses inévitables questions : « Pour toi, qui suis-je ? » et « M’aimes-tu ? ». Puissions-nous capituler, comme Pierre… Alors nous le connaîtrons, lui, et la puissance de sa résurrection… Alors aussi, nous nous apercevrons qu’en réalité, sous l’apparente uniformité des choses et des jours revenus à leur place ordinaire, le grand Blessé a tout blessé à son tour, tout modifié à jamais…

Le jour que le Seigneur a fait n’a pas de demain : tout de suite, mordons dans le Pain, dans le Poisson, dans la Vie, et en disposant silencieusement, harmonieusement, nos petits poissons autour du sien, composons, à même le Feu, cette mosaïque vivante qui est l’Eglise !