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Homélie de la fête de la Mer

lundi 3 septembre 2018Expression de l'évêque

Alors que Jésus s’affaire pour guérir des malades et soulager des misères, ses disciples prennent leur repas sans se laver les mains, comme le prescrit la tradition des Anciens. Cette infraction n’échappe pas aux scribes et aux pharisiens. Chez eux, les rubriques et les prescriptions rituelles tiennent une grande place et même, on peut dire qu’elles ont pris toute la place. Ils se lavent les mains sans cesse, avec une scrupuleuse et pieuse ténacité ! Ils s’aspergent d’eau abondamment chaque fois qu’ils reviennent du marché. La réponse que le Christ leur apporte est cinglante.  

Qu’est-ce qui cause l’agacement de Jésus ? Il ne supporte pas ces personnes qui, en-dehors de leur monde,  en-dehors de leur petit univers religieux et rituel,  considèrent que tout est impur… Lorsqu’ils vont au marché ou marchent dans les ruelles,  ils croisent toutes sortes de gens. Certains sont différents d’eux, d’autres n’adorent pas Dieu et,  à leur contact,  ils s’imaginent qu’ils deviennent impurs … C’est pourquoi ils jugent nécessaire de se purifier de ces contacts, par des ablutions nombreuses avant les repas et les prières.

L’agacement de Jésus s’explique aussi parce que les scribes et les pharisiens sont familiers des récriminations et des critiques malveillantes. Plusieurs fois, Jésus a subi leurs critiques acerbes parce qu’on lui reprochait de fréquenter des publicains, des pécheurs et des païens,  de manger avec eux. Ils ne comprennent pas ou plutôt, ils ne supportent pas que Jésus puisse transgresser les lois religieuses, les préjugés et les apparences… et de le faire au nom de Dieu ! Il sait, nous dit l’évangéliste Jean, discerner ce qu’il y a dans le cœur de l’homme. Et il découvre ainsi, à leur contact, qu’il y a des pécheurs qui ont le cœur plus pur et plus généreux que certains pharisiens qui, pourtant, respectent tous les formalismes de la purification rituelle. 

Les évangiles soulignent constamment chez Jésus, son désir d’intégrer ceux que l’on méprise, que l’on rejette et que l’on tient à la marge de la société. Et sa colère redouble lorsque ce rejet utilise Dieu comme caution. Pour lui, c’est proprement intolérable.  Car le Dieu qu’Il révèle est Père de tout homme,  quelle que soit sa religion, sa culture et ses coutumes. Rien dans sa situation ou sa condition ne permet de le déclarer impur et ainsi le rejeter. Le pape François insiste beaucoup sur cet aspect évangélique de l’intégration de tous, intégration sociale autant qu’ecclésiale : « Il s’agit d’intégrer tout le monde, on doit aider chacun à trouver sa propre manière de faire partie de la communauté ecclésiale, pour qu’il se sente objet d’une miséricorde ‘‘imméritée, inconditionnelle et gratuite’’. Personne ne peut être condamné pour toujours, parce que ce n’est pas la logique de l’Évangile ! » (A.L  297).

Aujourd’hui, chers amis, le souci de l’intégration de tous demeure une exigence de l’action de l’Eglise et des chrétiens. Dans un monde cloisonné, l’Evangile nous appelle sans cesse à faire tomber des murs et dépasser les frontières pour bâtir une fraternité universelle. Les attitudes sectaires et les refus des autres ne s’enracinent plus de nos jours dans un élitisme de pureté rituelle. Pourtant, il arrive encore – trop souvent, hélas ! – que, pour d’autres raisons, on veuille se protéger des autres, les tenir à distance et même les rejeter hors de nos espaces habituels.  

Dans une société où les groupes humains semblent connaître des difficultés pour se supporter et œuvrer ensemble à leur avenir … dans un monde où grandissent les tentations du populisme et du nationalisme, ou de l’intégrisme religieux, qui distillent leurs invitations au repli, au rejet et à l’exclusion, l’Evangile nous requiert à déployer partout une action intégrative et à promouvoir la fraternité. Dans son encyclique Laudato si’, le pape François s’appuie sur le Cantique de St François d’Assise pour souligner que, dans la perspective d’une écologie intégrale,  la fraternité s’étend aussi à toute la création.

En cette fête de la mer, nous voici invités à réactiver en nous ce désir de fraternité avec la création et avec tous les humains. En particulier, nous sommes appelés à nous interroger sur le regard que nous portons sur les réalités maritimes et les hommes qui les habitent (marins, pêcheurs, travailleurs des ports, salariés des entreprises de fret et des industries portuaires, plaisanciers, …). Quand les chrétiens célèbrent la mer, ils s’inscrivent dans ce réseau de relations à rendre fraternelles parmi toutes les personnes qui vivent sur la mer et par la mer. Mais il leur faut aussi s’interroger sur leur propre rapport à la mer. Comment nous la respectons et comment nous nous engageons – à tous niveaux – pour lutter contre sa pollution. Cela réclame aussi une vigilance à propos des accords qui régissent les conditions de vie et de travail des navigants. Il faut aussi, par exemple, porter le souci que les réglementations de la pêche soient établies de telle sorte qu’elles garantissent l’équité et la justice entre les pécheurs des différents pays.

Frères et sœurs, il n’est plus question aujourd’hui de règles de pureté rituelle qui classifient les hommes et les femmes. Mais l’Evangile nous invite à discerner tout ce qui peut devenir à la fois, source de destruction de la nature (la terre, la mer et l’air) et source de division, de rejet et de violence entre les personnes et les peuples. La mer doit demeurer un espace facilitant les échanges et les rencontres entre les peuples. Mais on voit bien qu’on peut défigurer la mer quand on la pollue ou quand, par indifférence ou cynisme, on la laisse devenir un immense cimetière pour des centaines et des centaines  de migrants en quête de survie.  Nous ne pouvons laisser la mer devenir la poubelle de nos sociétés technicisées ou le tombeau des oubliés du développement humain.

Par son comportement à l’égard des pharisiens et des scribes, Jésus indique où se trouve la vérité hier… et pour nous, aujourd’hui ! Il déclare : « Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort du cœur de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur ».

C’est toujours par des décisions sorties du cœur des hommes que se construisent des merveilles ou que se provoquent des désastres et des drames humains. L’évangile nous renvoie à notre conscience et à l’intériorité du cœur. C’est le lieu essentiel où la personne peut se construire en vérité, et décider de bâtir un monde habitable par tous et vraiment fraternel.

Mgr Jean-Luc Brunin

Évêque du Havre