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Poursuivre l’aventure européenne

vendredi 5 octobre 2018Diocèse, Expression de l'évêque

La question de la construction européenne émerge dans un certain nombre de débats actuels qui traversent nos sociétés inquiètes pour leur avenir. Certes, il est clair que le fonctionnement des institutions européennes peut et doit être amélioré. Il est aussi légitime pour les citoyens européens d’interroger leur fonctionnement. Le principe de l’unanimité entre tous les états membres qui défendent tous des intérêts divergents, empêche presque toutes les décisions politiques importantes et génère une sorte de paralysie politique. Réfugiés, défense européenne, politique étrangère, politique sociale … tout semble bloqué. Il n’en faut pas plus pour que des voix s’élèvent pour prendre congé de l’Europe comme l’ont fait nos amis britanniques. Faut-il pour autant aller jusqu’à décréter la fin de l’aventure européenne ?

Renforcer nos convictions européennes

Les élections européennes au printemps 2019 sont une bonne occasion de renforcer la conviction européenne chez les citoyens que nous sommes. Vouloir une Europe certainement plus sociale, plus démocratique, plus respectueuse des traditions et de l’identité des peuples. Contre tout simplisme, par-delà crainte ou passion idéologique, les chrétiens ont la responsabilité d’aider à une prise de conscience sur l’importance de poursuivre l’aventure européenne. Unir les peuples européens, créer les conditions d’une coopération et permettre à l’Europe de participer positivement dans un monde globalisé, cela participe de la mise en œuvre du projet de Dieu qui veut rassembler la famille humaine. Pour les chrétiens, cela commence par un regard réaliste sur l’histoire et les perspectives d’avenir qui se dessinent.

L’Europe comme espace pacifié

Il faut nous rappeler que les débuts de la construction de l’Europe ont été précédé de trois grands conflits meurtriers qui ont ensanglanté l’Europe et, pour deux d’entre eux (14-18 et 39-45), se sont étendus au monde. Depuis la construction de l’Union Européenne, l’Europe n’a plus été engagée dans des conflits à grande échelle. Certes, des foyers de violence sporadique ont éclaté ici ou là, mais force est de constater que les traités et les conventions basées sur la dialogue entre les pays et les peuples, ont eu plus de succès pour garantir la paix  que le recours aux armes et à la guerre. Peut-on prendre congé de l’Union Européenne sans sombrer dans le risque de conflits armés au cœur d’un monde multilatéral soumis à de fortes tensions ?

La place et le rôle de l’Europe dans le monde

Dans un Conférence donnée le 8 août dernier et intitulée « Regards d’avenir », Michel Camdessus[1], traçait les hypertendances qui laissent entrevoir les impasses mais aussi les perspectives positives pour l’avenir de l’humanité. Parmi celles-ci,  il mentionne les évolutions démographiques qui impacteront la place et le rôle de l’Europe dans un monde globalisé. 

Le point qui domine tous les autres est la confrontation inévitable entre le continent de la jeunesse, l’Afrique, et le reste du monde qui connaît un réel vieillissement. La population africaine doublera en 35 ans pour atteindre 2,5 milliards d’habitants en 2050. Partout ailleurs, la population stagnera ou régressera. Le cœur de notre problème réside dans ce face-à-face Afrique/ Europe. En 2050, sur 9,8 milliards d’humains, il y aura 1,4 milliard de Chinois, 1,7 milliard d’Indiens, 435 millions d’Américains du Nord, 716 millions d’Européens et 2,5 milliards d’Africains. Préparer l’avenir de façon responsable, cela passe inévitablement par la poursuite de l’aventure européenne, développant une « culture de la rencontre et du dialogue ». Il serait suicidaire de généraliser le « Brexit ». La gestion responsable des mouvements migratoires vers l’Europe et la mise en place d’une politique sérieuse et généreuse de co-développement solidaire ne peuvent se conduire qu’à partir des institutions perfectibles de l’Union Européenne.

Une mission de conscientisation

A l’approche des élections européennes, il est important que les chrétiens puissent éclairer la conscience des citoyens sur les enjeux réels de ce scrutin. Cela se fera au fil de nos rencontres et de nos échanges, dans la proposition de moments de réflexion et de débat. Pour sa part, l’Antenne Sociale du diocèse a voulu prendre une initiative en organisant deux soirées sur les enjeux de la construction européenne. Le première aura lieu le mardi 8 janvier 2019 à la Maison Diocésaine, avec Mgr Antoine Hérouard, délégué des évêques de France auprès de l’instance des Conférences Episcopales européennes (COMECE). La seconde soirée aura lieu le 28 mars avec Mme Sylvie Goulard. Elle fut députée européenne de 2009 à 2017 et auteur de plusieurs ouvrages sur la construction et le fonctionnement de l’Union européenne. L’un et l’autre viendront éclairer notre réflexion.   

 

Deux insistances du pape François : la personne et la communauté

En octobre 2017, le pape François a réuni à Rome les délégations des Conférences Episcopales des pays de l’Union Européenne. Il a encouragé les Eglises à soutenir activement la poursuite du processus de construction européenne. Il l’a fait en insistant sur deux aspects qu’il juge nécessaires pour bâtir une Europe plus juste et plus solidaire : le respect de la personne et la promotion d’une communauté. Voici deux passages de son intervention.  

 La personne humaine

« la plus grande contribution que les chrétiens puissent offrir à l’Europe d’aujourd’hui, c’est de lui rappeler qu’elle n’est pas un ensemble de nombres ou d’institutions, mais qu’elle est faite de personnes. Malheureusement, on remarque comment souvent tout débat se réduit facilement à une discussion de chiffres. Il n’y a pas les citoyens, il y a les suffrages. Il n’y a pas les migrants, il y a les quotas. Il n’y a pas les travailleurs, il y a les indicateurs économiques. Il n’y a pas les pauvres, il y a les seuils de pauvreté. Le caractère concret de la personne humaine est ainsi réduit à un principe abstrait, plus commode et plus apaisant [2]»

La communauté

« Reconnaître que l’autre est surtout une personne signifie valoriser ce qui m’unit à lui. Le fait d’être des personnes nous lie aux autres, nous fait être communauté. Donc, la deuxième contribution que les chrétiens peuvent offrir à l’avenir de l’Europe est la redécouverte du sens d’appartenance à une communauté. Ce n’est pas un hasard si les Pères fondateurs du projet européen ont choisi précisément ce mot pour identifier le nouveau sujet politique que se constituait. »

+ Jean-Luc BRUNIN

Évêque du Havre

 

[1] Ancien Directeur Général du Fonds monétaire international.

[2] Pape François, Rencontre sur l’Europe, Rome, 28 octobre 2017.