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« Que l’on bâtisse ici une chapelle » – Homélie du vendredi 25 août 

vendredi 25 août 2023Non classé
Homélie du vendredi 25 août 2023

Lorsque Jésus est interrogé par un docteur de la Loi, Saint Matthieu nous précise qu’il vient de « fermer la bouche aux Sadducéens ». Lui qui a plutôt l’habitude de délier la langue des muets, voilà qu’il leur impose le silence. Rappelons pour resituer le contexte que les Sadducéens étaient cette secte qui s’en tenait à la tradition écrite essentiellement du Pentateuque et qui assurait ne pas y trouver la doctrine de la résurrection de la chair.

Et Jésus va leur fermer la bouche . . . en leur ouvrant les yeux sur l’écriture même qu’ils défendent en montrant que la Résurrection était sous-jacente à la formule de l’Exode : «Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob»

J’imagine assez bien les Pharisiens satisfaits du revers subi par le groupe opposé, et voulant montrer la supériorité de leurs idées sur le Christ même, tenter à leur tour de le mettre à l’épreuve. Le monde n’a pas changé et rares sont les individus et les groupes qui commencent par écouter ce que le prochain a à leur dire et ce que cela peut modifier chez eux dans leurs convictions. Je vous laisserai relire la suite de l’Evangile de ce jour, vous verrez que Jésus n’est pas plus tendre avec les Pharisiens et les scribes. Mais entre les deux, Jésus nous a laissé ce plus grand commandement.

Voici plusieurs jours que nous préparons nos cœurs, avec ces allers-retours entre l’expérience concrète de la rencontre de l’autre et l’intériorisation par la prière, la méditation et les sacrements, que nous préparons nos cœurs à entendre de Jésus ce commandement de l’Amour : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

Je vous ai dit hier que le chemin nécessaire pour entendre ce commandement de l’amour du prochain passait par la reconnaissance de notre faiblesse qui ôte ainsi toute idée de suffisance ou de condescendance sur celui que Dieu met sur notre route.

Pour trouver l’attitude juste, le récit de la première lecture est riche d’enseignement. Il est de ces textes dont le personnage essentiel n’est pas le personnage principal, premier témoignage de l’humilité de celui-ci. Car si le récit raconte le retour de Noémi du pays de Moab vers sa patrie qui n’est autre que Bethléem, à la suite de la mort de son mari puis de ses deux fils, c’est l’attitude de sa belle-fille Ruth la moabite qui doit nous interpeler. Elle accepte de suivre docilement sa belle-mère, par fidélité à celle-ci et elle adhère sans condition à la foi en son Dieu. L’amour du prochain la conduit à l’amour de Dieu.

Ce n’est pas sans conséquence sur sa situation puisqu’elle ajoute à son statut de veuve celui d’étrangère, faisant d’elle une pauvre parmi les pauvres, obligée d’aller glaner les épis dans les champs derrière les moissonneurs, ce qui était le droit des pauvres dans la loi.

L’attitude de Ruth est à l’encontre de celles des Sadducéens ou des Pharisiens. Elle n’a aucune prétention, mais elle s’attache à sa belle-mère, à son peuple et à son Dieu.

Et c’est en accueillant ainsi sa pauvreté et par l’attitude qu’elle a eu envers sa belle-mère qu’elle trouvera grâce aux yeux de Booz, le propriétaire du champ. A sa manière, il aura lui aussi obéi au commandement d’aimer son prochain, quelle que soit sa condition.

Ce récit, dont l’intégralité du livre de Ruth tient en 4 pages dans la Bible, pourrait rester anecdotique, s’il n’était précisé que Booz épousera Ruth et qu’ils donneront naissance à Obed, père de Jessé, lui-même père de David, faisant d’eux les ascendants des Rois d’Israël.

Comme le psalmiste le déclare, « Heureux qui s’appuie sur le Dieu de Jacob, . . . aux affamés, il donne le pain. . . le Seigneur protège l’étranger. Il soutient la veuve et l’orphelin, . . . »

Ce n’est évidemment pas anecdotique non plus si Saint Matthieu prend la peine de citer Ruth dans la généalogie de Jésus, l’une des 5 femmes citées seulement, dont la dernière n’est autre que Marie.

En se soumettant à sa belle-mère, à son peuple et à Dieu, Ruth préfigurait l’attitude de Marie, qui, en acceptant d’enfanter le Christ, a permis l’incarnation de Dieu.

Marie n’a de cesse de nous désigner son Fils, qu’elle nous invite à écouter, à suivre. En s’adressant à Bernadette, elle nous montre une fois de plus la priorité à l’attention au plus faible et qu’il faut savoir se mettre à leur écoute. Et il aura fallu le courage de certains prêtres pour mettre foi en les paroles de la petite Bernadette. Eux aussi auront su mettre en pratique le grand commandement de l’Amour du prochain.

Bernadette à son tour n’a pas cherché à détourner les regards sur elle puisqu’elle a choisi de continuer à vivre de ce commandement d’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit en choisissant la vie religieuse et le commandement d’aimer son prochain en choisissant les sœurs de la Charité de Nevers, au service des malades : prier et servir.

De Ruth à Marie, de Marie à Bernadette, de Bernadette à . . . toi. Suivant l’attitude humble de ces femmes, tu es venu déposer au pied de l’autel tes souffrances, ta maladie, ta faiblesse. A l’exemple de ces femmes, tu as su peut-être te mettre durant ce pèlerinage au service des malades, tu as su les accueillir, les accompagner. Tu as donné du temps, de l’énergie, . . .

Mais comme dit Lanza del Vasto : « D’où t’arroges-tu le droit de donner, toi qui n’as rien que tu n’aies pas reçu, toi qui n’as rien rendu de ce qu’on t’a donné ? Ne donne pas : partage. »

Partager, c’est le dernier mot de ceux qui ont jalonné notre pèlerinage, après les mots accueil, accompagnement, discerner et entrer.

Le partage, c’est le témoignage que tu vas faire en rentrant chez toi, autour de toi. Ce ne sera pas forcément facile, mais ne crois pas que ça l’était pour Bernadette, qui a dû affronter bien des souffrances, ce fut sa croix quasi quotidienne.

Le partage, c’est aussi le partage des souffrances. Tu ne prendras pas la souffrance de l’autre, mais tu pourras être là, pas à sa place, mais à côté de lui.

Retiens que quand l’amour est au centre du partage, le fruit de cette expérience est la paix.

Et puis tu as cheminé, tu as examiné ta grotte intérieure avec indulgence, mais sans concession. Tu l’as offerte à la miséricorde de Dieu et cela a été la première pierre de la chapelle que tu as commencé à édifier.

« Que l’on bâtisse ici une chapelle ».

Il y a dans cette phrase un petit mot humble, à côté lui aussi, c’est le ici.

Tu vas repartir chez toi demain. Que vas-tu faire de ces quelques jours de pèlerinage ? Quelques jours dans une vie, ce n’est pas grand chose . . . pas plus que ne sont 4 pages d’un livre de la Bible. Mais si ces pages ont pu donner naissance à une descendance royale et faire advenir le messie, que va-t-il advenir de ces quelques jours dans ta vie ? Je ne peux que t’inviter à rappeler sans cesse aux prêtres de ta paroisse, de ton diocèse, de ton mouvement, que l’on bâtisse ici une chapelle. Cet ici, c’est ton coeur, mais c’est aussi celui de ton prochain, qu’il soit pauvre, malade, étranger, rejeté, . . . Et si tu reconnais le cœur de ton prochain comme une chapelle, tu n’auras plus qu’à « ôter tes sandales devant la terre sacrée de l’autre »(EG n°169), te mettre à son écoute, te mettre à « l’ausculter » pour y percevoir le son de la source comme on entend celle qui coule au fond de la grotte, te mettre à le « scruter » pour être capable de le voir comme le tabernacle de la présence réelle du Christ.

Alors tu aimeras vraiment ton prochain et c’est ainsi que tu aimeras Dieu.

Jérémie Lesage, diacre permanent