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Retrouver le sens du politique

dimanche 12 mars 2017Diocèse

Quelques mois avant d’importantes échéances électorales, le Conseil Permanent de la Conférence des évêques de France a publié un document intitulé Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique. Le fort impact du texte des évêques qui invite à la réflexion et au dialogue, ne manque pas de surprendre. Cet enthousiasme révèle, si besoin était, le désir profond de nos contemporains d’approfondir le sens du politique (c’est la face positive de leur sentiment), mais aussi leur profonde insatisfaction de la politique (c’est la phase plus négative de l’attente perçue).

Un regard et une parole réalistes et bienveillants

Analyser suppose d’observer et de regarder. Quel est le regard que l’Eglise catholique pose sur notre société française ? Le ton général de ce document doit beaucoup au style que le pape François adopte dans son rapport avec le monde, et qu’il nous invite aussi à adopter dans nos rapports entre Eglise et Société. La nouveauté de son style tient à son pragmatisme tout évangélique, au fait qu’il choisit délibérément de prêter attention d’abord à l’expérience concrète des personnes, croyantes ou non.

Dans le document de la CEF, l’Eglise catholique entend donner un éclairage sur le sens du politique, mais elle veut le faire dans la perspective d’un dialogue et d’une recherche commune. D’où les questions posées à la fin de chaque partie du texte qui attendent des initiatives locales pour aménager des espaces de rencontres, en vue d’échanges et de partages susceptibles de nous forger une conscience commune sur le fondement du politique, en crise profonde aujourd’hui.

Remarquons, dès le début du document, le souci de bienveillance à l’égard de la société. « Si nous parlons aujourd’hui, c’est parce que nous aimons notre pays, et que nous sommes préoccupés par sa situation » (page 11). Les évêques ne sont pas des spécialistes de la politique, mais ils s’affirment comme citoyens parmi les citoyens. La nécessité perçue de prendre la parole sur cette question n’a pas pour but d’alimenter la crise traversée par la politique, mais « en regardant les choses en face, apporter résolument notre pierre, notre réflexion, au débat que notre pays doit avoir » (page 11).

La politique est l’affaire de tous

S’inscrivant dans la longue tradition sociale de l’Eglise, les évêques veulent remobiliser l’ensemble de nos concitoyens pour qu’ils adoptent une posture plus responsable et plus impliquée dans la vie politique de leur pays. Voici quelques années, les évêques avaient déjà publié un document « Réhabiliter la politique » (1999). Il ne peut y avoir de vie sociale possible et harmonieuse sans l’action du politique. C’est lui qui anime la recherche du bien commun et définit la perception de l’intérêt général à partir du débat démocratique. Les évêques, dans la ligne de l’enseignement social de l’Eglise, veulent promouvoir une démocratie participative, soucieuse d’intégration de tous et, en particulier, des plus pauvres. La politique est au service de l’émergence d’un « nous » qui dépasse les particularités dans une société. Pour l’Eglise catholique, la politique est une activité noble assumée par des hommes et des femmes qui veulent se mettre au service de leurs concitoyens.

Une approche de la crise de la politique

La perspective du texte des évêques n’est pas naïve, elle aborde frontalement la question de la crise de la politique. Qu’est-ce qui empêche nos concitoyens à consentir au dialogue et à résister à une approche du bien commun sur la base d’une prise en compte de l’intérêt général ? Nous constatons que les personnes engagées en politique expriment souvent leur difficulté à élargir le champ de  vision de leurs concitoyens au-delà de leurs perceptions et de leurs intérêts particuliers. De plus en plus, les engagés politiques mesurent l’importance accrue, dans leur action publique, par la part éducative des citoyens.

Ainsi, le document attire notre attention sur les tensions qui se développent dans notre société française. On peine à se supporter, on cultive la suspicion mutuelle et il n’est pas rare d’assister à des affrontements parfois violents. Une société ne peut se fonder durablement sur l’autonomie des individus ou l’entre soi. Toute dimension sociale plus large est ressentie comme atteinte à la liberté individuelle et à nos intérêts personnels.

La démocratie est bafouée lorsque l’action politique qui la fait vivre, cherche simplement à satisfaire des intérêts particuliers hors de toute référence à l’intérêt général. Il faut du courage pour résister aux pressions des groupes qui, au lieu de participer à la recherche démocratique du bien commun, s’adonnent à du lobbying au service d’intérêts catégoriels. Finalement, s’installe l’idée que seuls la pression et le rapport de forces peuvent faire reconnaitre nos droits et prendre en compte nos intérêts. La politique n’échappe pas toujours à ce danger. Les évêques constatent qu’elle « s’est faite gestionnaire, davantage pourvoyeuse et protectrice de droits individuels et personnels de plus en plus étendus, que de projets collectifs » (page 48). Une telle posture met à mal le débat démocratique et ouvre la voie au populisme.

Vers un « faire-alliance » repensé

Pour dépasser cette difficulté, les évêques invitent les citoyens et les responsables politiques à repenser un contrat social où le collectif, et non seulement l’individu, sera au centre. Il nous faut retrouver le sens de l’interdépendance et nous donner les moyens de la gérer positivement comme une alliance fondamentale entre tous. Cela réclame qu’on transcende, sans les ignorer pour autant, les particularités culturelles, idéologiques, spirituelles ou religieuses. Une vie sociale suppose toujours un « faire-alliance » que saint Thomas à la suite d’Aristote, appelait l’amitié civique. A côté de l’amitié privée, il y a l’amitié civique. C’est un plus haut degré de vertu qui donne toute sa valeur à une citoyenneté, quand on se laisse toucher par le souci du pauvre, du malade, de l’isolé ou du malheureux, pour l’unique raison que nous appartenons à une commune humanité.

Réapprendre ce sens de l’Alliance qui peut prendre la forme d’un contrat social, permettrait de retrouver le sens du politique dans une société éclatée et en recherche de cohésion et de solidarité. Pour cela, il est nécessaire d’enrayer toutes les forces de repli et de fermeture sur le local, la mêmeté, le refus de l’autre parce qu’il est autre. Une telle démarche permet de retrouver le sens du politique.

A l’approche des prochaines échéances électorales, « les nouvelles questions d’aujourd’hui nous obligent à réfléchir et à agir. Elles peuvent se révéler une chance pour nous dire quelle société nous voulons » (page 68).

+ Jean-Luc BRUNIN – Evêque du Havre